an courage des sauveteurs, l'esprit de solidarité se concrétisant dans
des actes dépassant le rationnel. Le divorce entre l'émotion humaine
qui libère des forces insoupçonnées et les règles sociales, se serait
alors
réalisé au profit des camarades en voie d'asphyxie. Ainsi la trentaine
de sauveteurs (sur 130) originaires de Marcinelle ou connaissant bien
la fosse, ayant un membre de leur famille ou un ami au fond, aurait
peut-être fait plus que les 100 autres étrangers au puits. Ceci, s'il
leur
avait été possible d'agir dès les premières minutes sur la base de leur
expérience journalière. Au lieu de cela, on a vu une tentative de sau-
vetage procédant de méthodes scientifiques certes, mais de méthodes
ralenties par leurs modalités d'application. Pourquoi ? Parce que les
principes régissant le sauvetage et ordonnant une attitude déterminée
devant un cas précis sont élaborés par des gens de surface qui n'ont,
du danger et des accidents, qu'une vue du dehors. Les sauveteurs, eux-
mêmes, malgré leur courage, établissent forcément, entre eux et les
emmurés, le rapport impliquant en fin de compte le choix : lui ou moi.
Ainsi, dans leur lutte contre les éléments, ils choisissent d'abord leur
vie propre. Tandis que l'homme, comme par exemple ce chef porion
(dont on a par ailleurs beaucoup parlé), sạchant son fils en péril de
mort, verra ses forces dans une certaine mesure se décupler.
Ce fossé entre Direction et Exécution explique et porte la respon.
sabilité de la mort des 265 mineurs de Marcinelle et de bien d'autres
mineurs et travailleurs. Il s'est exprimé au grand jour pendant les
semaines qui ont suivi la catastrophe. D'un côté : Van den Heuvel,
directeur général de la mine du Bois du Cazier, s'enferme peureusement
dans son bureau protégé par la police et informe les familles et la
population de temps à autre (et quelquefois faussement) par de laco-
niques communiqués. De l'autre : les familles, les mineurs du Borinage
en grève contre l'avis syndical, réclamant des informations, exigeant
des comptes, et que Van den Heuvel, par son infâme pusillanimité en
matière d'informations, fait passer par d'atroces alternances d'espoir et
de désespoir. Et entre les deux, les forces de police, parfaite image
de l'Etat, « protégeant » le carreau, l'entrée du puits, escortant les
sauveteurs jusqu'au bureau du patron de crainte d'indiscrétion pouvant,
à tout moment, provoquer « la colère de la foule ». Quelle image plus
claire de notre société !
Tous les travailleurs de Marcinelle ont, dans cette tragédie, montré
un courage sans bornes. Dans la douleur et le désespoir, ils ont mani.
festé un degré de solidarité et de conscience exceptionnel. Ils ont su
démontrer qu'ils n'étaient pas dupes et qu'ils savaient où étaient les
vrais responsables. Dans le calme muet qui, la plupart du temps, carac-
térisait leur attitude, des moments de colère ont trouvé leur manifes.
tation dans des « invectives violentes lancées contre la Direction » (lo
Monde), la distribution de quelques coups, à titre d'avertissement, à
des photographes de journaux à sensation manquant de discrétion, la
prise à parti du roi Baudoin, lors de sa visite ce qui l'a amené à
se faire représenter, par la suite et surtout, le renvoi violent dans
leurs églises des curés qui, profitant toujours de ce genre de
situations,
voulaient officier en plein air. Ces derniers, devant le porion Hendrickx
dénonçant le caractère spectaculaire de la messe, n'ont pu que ranger
leurs instruments au plus vite.