Que s'est-il passé à Liége, le 6 janvier ? Quelles leçons les
ouvriers retireront-ils de cette bataille de rues où le dynamisme
d'une minorité, inorganisée, a failli mettre en péril le déploiement
sans précédent de la répression ?
Les faits sont éloquents. La manifestation devant le syndicat avait
rassemblé quelques 40 000 participants grévistes, accourus de toute
la banlieue. Après la harangue bonhomme de Renard, sa
répétée « d'abandon de l'outil », plusieurs sinon la majorité
attendaient, au moins, un défilé en ville. Les dirigeants syndicaux,
apeurés de l'ampleur de la manifestation, lancèrent un seul « mot
d'ordre » : « Dispersez-vous dans le calme !. » C'est ainsi que la
manifestation se scinda en plusieurs tronçons, les uns regagnant
leur banlieue, d'autres, plus dynamiques, organisant à l'improviste,
un défilé sur les boulevards du centre. Un autre groupe, remontant
menace
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la rue Saint-Gilles, fut l'objet de provocations de la part des employés
du syndicat chrétien, dont le siège est dans cette rue. Le local fut
mis à sac sans hésitation, ainsi que d'autres locaux commerçants
(déjà peu favorables aux grévistes. Les deux cortèges, finalement, se
rejoignirent, face à la gare des Guillemins.
Les éléments jeunes, abandonnés par
les commissaires »,
euren't l'idée d'occuper certaines parties de la gare notamment le
bar. Immédiatement, les cordons de police cédèrent, étant donné
l'exténuation de ce corps municipal et, faut-il le dire, le peu d'empres-
sement des agents à s'opposer aux grévistes. Par contre, aussitôt
ulertée, la gendarmerie riva en jeeps, armée jusqu'aux dents et
refoula les quelques 2000 grévistes. C'est alors que la bagarre se
(léclencha avec l'âpreté qu'on sait et, dans l'affaire, les forces de
l'ordre eurent le dessous. Leurs auto-pompes inondaient bien les
manifestants, mais ceux-ci, encapuchonnés dans de longs imperméa-
bles, ne prêtaient aucune attention à ces jets d'eau, pour le moins,
à vous couper le souffle. En un clin d'æil, les vitres des halls volèrent
en éclats, le mobilier du buffet de la gare s'abattit sur les jeeps des
pandores. Refoulés, pied à pied, tout le long de la rue des Guillemins,
les manifestants formerent alors une masse de manæuvre et une sorte
d'arrière-garde, destinée à tenir « les forces de l'ordre » en alerte
sur les boulevards. La masse de maneuvre, encadrée par deux ou
trois camarades, s'en revint vers le centre.
Il fallait un nouvel objectif à cette masse. Le défilé en lui-même
n'aurait rien signifié. L'un des camarades eut l'idée de lancer les
grévistes à l'assaut du journal La Meuse, le plus réactionnaire de la
région et objet de la haine de tous. C'est ici que l'improvisation de
la manifestation joua à la fois pour elle et contre elle. Un bref
colloque sur un terre-plein et il est décidé que le mot d'ordre sera
transmis de bouche à oreillè, et non scandé, afin d'endormir les poli-
ciers, toujours présents. Ce qui fut fait. Au pont d'Avroy, le cordon
de flics cède sans résistance et la masse de manæuvre s'engouffre
au boulevard de la Sauvenière, siège du journal. La colonne s'avança
devant l'immeuble, en scandant les habituels slogans contre Eyskens
et la loi unique. Arrivée un peu au-delà de l'immeuble et alors que
les policiers échangeaient déjà un fameux soupir de soulagement, les
grévistes, par un demi-tour à gauche impressionnant (d'autant qu'il