point de vue des exploiteurs ? Il suffit de regarder la réalité autour
de soi pour voir qu'il n'en est rien. Infiniment plus consciente et plus,
riche en moyens qu'il y a un siècle, la politique capitaliste échoue
toujours autant face à la réalité sociale moderne. Cet échec se traduit,
d'une façon permanente, par l'énorme gaspillage qui caractérise les
sociétés contemporaines du point de vue même des classes domi-
nantes, par le fait que leurs plans, se réalisent jamais, pour
ainsi dire, qu'à moitié, par leur incapacité de dominer effectivement
le cours de la vie sociale. Mais il se traduit aussi, périodiquement,
ne
66
par les crises de la société établie, que le capitalisme n'est pas
parvenu et ne peut pas parvenir à éliminer. Par crises nous n'en-
tendons pas, ou pas seulement, les crises économiques, mais ces
phases de la vie sociale où un événement quelconque (économique,
politique, social, international) provoque un déséquilibre aigu dans
le fonctionnement courant de la société et met les institutions et
les mécanismes existants dans l'incapacité temporaire de rétablir
l'équilibre. Des crises en ce sens, quelle qu'en soit l'origine, sont
inhérentes à la nature même du système capitaliste, elles expriment
son irrationalité et son incohérence fondamentales. C'est une chose
de constater, par exemple, que le capitalisme peut désormais contenir
les fluctuations de l'économie dans des limites étroites, que donc
ces fluctuations perdent beaucoup de l'importance qu'elles avaient
autrefois. C'en est une autre, à une distance infinie de la première,
que de croire que le capitalisme est devenu capable d'assurer un
développement social cohérent à son propre point de vue, sans heurts
et sans éclatements. Les dimensions et la complexité de la vie sociale
actuelle, mais surtout ses transformations permanentes font qu'un
fonctionnement cohérent de la société ne peut être assuré ni par des
lois naturelles », ni par des réactions spontanées des hommes.
Ce fonctionnement cohérent qui ne faisait pas problème au cours
des étapes précédentes de l'histoire devient une tâche qui doit
être assurée par des institutions, et des activités ad hoc. Le boule-
versement continu de la technique et des rapports économiques et
sociaux, la mise en rapport de secteurs d'activité jusqu'alors éloignés,
l'interdépendance croissante des peuples, des industries, des événe-
ments font que des problèmes nouveaux se présentent constamment,
ou que les solutions appliquées auparavant ne valent plus. La classe
dirigeante est alors objectivement mise en demeure d'organiser une
réponse sociale cohérente à ces problèmes. Or, pour des raisons
qui ont déjà été données, et qui tiennent à la fois à la structure de
classe de la société et à sa propre aliénation comme classe explo-
teuse, il n'y a aucune garantie qu'elle sera en mesure de le faire ;
elle en est incapable, pour ainsi dire, une fois sur deux. Chaque
fois qu'il en est ainsi, une crise au sens précis du terme éclate
économique, politique, internationale ou autre. Chaque crise parti-
culière peut donc apparaître comme « accident » ; mais, dans
un tel système, l'existence d'accidents et leur répétition périodique
(quoique non « régulière ») sont absolument nécessaires. Qu'il
s'agisse d'une récession plus prolongée que d'habitude, ou de la
guerre d'Algérie ; que les noirs ne supportent plus la discrimination
raciale à laquelle de capitalisme américain est incapable de mettre
fin ; que les charbonnages belges cessent d'être rentables du jour